Sous mon hospice
Sous mon hospice, par Patrick Desjardins
Note: certaines formulations peuvent être propres à la langue orale.
Suite « analepsique » de Rolling Dead de Patrick Desjardins
1 Une saison en institution
Timothy quitta sa chambre et il manœuvra son petit fauteuil roulant manuel dans le couloir en s’agrippant sur la rampe qui était visée au mur. Timothy s’aida de temps en temps en se propulsant avec son pied qu’il mettait au sol pour avancer. Il se rendit à la salle à manger de l’étage qui servait à la fois de salle commune. La télévision était allumée et un dessin animé montrant un robot géant en train de massacrer un vaisseau extra-terrestre était en onde. Josée, une infirmière, faisait manger une crème commerciale au chocolat à Pascal qui était installé dans un fauteuil roulant manuel dont le siège était quelque peu penché vers l’arrière. Josée reçut un peu de crème sur sa blouse.
-Ne crache pas, gronda Josée. Sinon, j’arrête de te faire manger.
-H’ai pas hvais exprès, répliqua Pascal.
-Ouais ! C’est ça, se méfia l’infirmière.
Josée prit le bavoir qui était sur Pascal et elle lui essuya la bouche avant de continuer de lui faire manger sa crème au chocolat.
-H’ai hvaim, dit Timothy.
-Tu vas souper bientôt, répondit Josée.
-Bourquoi Bascal beut manger lui ? demanda Timothy.
-Parce que je devais lui donner ses médicaments avec du manger, s’impatienta l’infirmière. Va regarder la télé en attendant.
Le robot géant finit d’aplatir le vaisseau extra-terrestre et le générique de fin commence à défiler à l’écran.
Une dizaine d’enfants en fauteuil roulant agglutinés autour des tables de la salle à manger et trois infirmières les firent manger l’un après l’autre. Elles ramassèrent la nourriture qui coulait sur leur menton avec leur cuillère, afin de la rentrer dans leur bouche. Timothy détestait lorsqu’on lui faisait ce genre de chose. Il cessa donc de manger, arracha son bavoir, le lança sur la table et se rendit devant la télévision qui présentait le bulletin de nouvelles de l’heure de souper. Après les enfants, c’était au tour des infirmières d’aller manger l’une après l’autre, ou bien elles y allaient deux à la fois. Pendant ce moment-là, les enfants avaient une sorte de « temps libre ». Timothy décida d’aller passer le sien dans sa chambre où il attendit le début du match de hockey et les prouesses un peu déclinantes du démon blond. La petite télévision de Timothy, reposant sur son bureau, était déjà allumée au canal qui diffusait le match. Celle-ci était entourée par des affiches de K 2000 et des dessins animés qui tapissaient les murs.
L’heure du match étant arrivée, les animateurs mirent la table pour l’affrontement entre les Canadiens de Montréal et les Red Wings de Détroit qui étaient deux équipes originales de la Ligue nationale de hockey. Après un moment, les joueurs s’installèrent pour la première mise au jeu du match et Josée arriva dans la chambre de Timothy.
-Désolée Timothy ! dit l’infirmière en éteignant la télévision, c’est le temps de prendre ton bain.
Josée prit les sous-vêtements et le pyjama de Timothy dans l’un des tiroirs du bureau et elle sortit de la chambre pour se rendre à la salle de bain. Timothy suivit Josée en ayant la mort dans l’âme.
Comme Timothy n’avançait pas assez rapidement, Josée saisit les poignées derrière le fauteuil roulant et poussa l’enfant jusqu’à une grande salle de bain blanche. L’infirmière fit couler l’eau pour laisser le bain en émail blanc se remplir pendant qu’elle déshabillait Timothy. Elle mit son linge sale dans un panier blanc à roulettes destiné à la buanderie. Timothy était sûr de retrouver ses vêtements parce que son nom était écrit en grosses lettres rouges brodées à l’intérieur de ceux-ci. Josée prit Timothy dans ses bras et elle le déposa dans l’eau du bain. Elle prit la douche-téléphone et arrosa l’enfant de la tête aux pieds. L’infirmière prit une bouteille qui faisait figure à la fois du shampooing et de savon pour le corps. Elle en aspergea Timothy, le frotta de fond en comble et le rinça de la tête aux pieds de nouveau avec la douche-téléphone. Josée retira ensuite le bouchon du bain pour laisser s’échapper l’eau, mais elle garda Timothy à l’intérieur. Lorsque l’eau fut toute partie, elle essuya Timothy et le contour du bain avec une serviette blanche. L’infirmière mit les sous-vêtements et le pyjama à l’enfant dans le bain, ce qui humidifia un peu son linge. Josée remit Timothy sur son fauteuil roulant manuel, mit la serviette dans le panier de linges sales et sortit de la salle de bain en poussant encore le fauteuil de Timothy. Elle alla coucher Timothy, le couvrit, éteignit la lumière et referma la porte de la chambre s’en allant.
Depuis sa tendre enfance, Timothy expérimentait les institutions. Sa mère monoparentale, Clarisse, travaillait quarante heures par semaine et elle élevait seule Johanne, la sœur de Timothy. Clarisse avait donc placé Timothy dans un hôpital pour enfants handicapés parce qu’elle était surchargée et incapable de s’occuper d’un enfant ayant une paralysie cérébrale sévère. Timothy était en fait un bébé prématuré que l’on a réussi à ressusciter, mais il avait gardé d’importantes séquelles. Son père était parti très vite après sa naissance et il n’avait plus vraiment donné signe de vie. Clarisse s’était donc retrouvée seule avec une jeune fille et un bébé lourdement handicapé. La mère de famille travaillait comme femme de ménage dans un gros immeuble et c’était un boulot très exigeant physiquement. Elle voyait son fils quelques fois par mois.
On était dimanche, jour du Seigneur et des visites à l’hôpital. Clarisse était venue voir Timothy avec Johanne. Elles eurent amené Timothy à la cafétéria du rez-de-chaussée. Pour une rare fois, l’enfant voyait un autre endroit pour manger que la salle de son étage. Il est vrai que Timothy mangeait aussi à la cafétéria de son école, mais il apportait un lunch de l’hôpital faute d’argent. Or, Clarisse était assise à une table à côté de son fils et elle lui faisait manger une crème glacée à la petite cuillère. Johanne était assise devant Timothy et elle mangeait nonchalamment ses frites en poussant de temps en temps ses longs cheveux blonds vers l’arrière.
-T’amuses-tu un peu à l’école, demanda Clarisse à Timothy.
-Oui ! répondit-il. He vhois mes amis.
-C’est bien ! dit Clarisse. Tu sais, ta sœur va très bien à l’école. Elle est même devenue la présidente de sa classe.
Clarisse essuya avec un mouchoir la crème glacée qui coulait sur le menton de Timothy. Elle continua de le faire manger par la suite.
-Ouais ! lança fièrement Johanne. Je les ai tous clenchés. C’est moi la best de la famille.
-Johanne, aie un peu plus de délicatesse et de modestie, ordonna Clarisse. Tu vois bien que ton frère peut pas faire les mêmes choses que tout le monde. C’est pas nécessaire de lui mettre en pleine face.
-C’est quand même pas de ma faute s’il est arrangé de même, répliqua Johanne.
-Johanne ! Franchement ! s’indigna Clarisse. Je t’ai pas élevée comme ça. Excuse-toi tout de suite à ton frère.
-Excuse-moi Timothy, dit Johanne sans trop de conviction.
Timothy regarda la scène en ne sachant pas trop ce qu’il devait faire ni comment réagir. Johanne mangea des frites en soupirant et en regardant autour d’elle. Clarisse passa tendrement la main dans les cheveux de Timothy avant de lui donner une autre bouchée de crème glacée.
-Excuse ta sœur, Timothy. Elle est nerveuse à cause de ses compétitions de natation qui s’en viennent, expliqua Clarisse. Elle n’est pas dans son état normal.
-Je suis tout à fait normale, moi ! rétorqua Johanne.
-Ça suffit ! trancha Clarisse.
La visite s’acheva avec la fin de la crème glacée de Timothy. Clarisse ramena son fils à sa chambre en lui promettant de l’amener chez elle la fin de semaine suivante. Elle donna un long baiser sur le front de Timothy et lui dit au revoir. Johanne donna un baiser sur la joue de son frère et le salua. La mère et la fille s’en allèrent en laissant Timothy à sa télévision.
Les jours d’école étaient plutôt semblables pour Timothy et les autres enfants de l’hôpital. Ils se levaient tôt. Les infirmières les habillaient, les installaient sur leur fauteuil roulant manuel et les amenaient à la salle à manger pour leur enfiler un gruau liquide et un verre de lait. Ensuite, elles mettaient les enfants à la file indienne près de la salle de bain pour leur brosser les dents et leur peigner tant bien que mal les cheveux, la plupart du temps sur le côté. Les infirmières amenaient les enfants au rez-de-chaussée pour les faire monter dans un gros autobus adapté. L’autobus quittait l’hôpital pour enfants handicapés et il se rendait à une école pour enfants handicapés, afin d’y déposer les enfants handicapés. Cependant, les enfants qui étaient malades restaient à l’hôpital.
Cette journée-là, Timothy avait une séance de physiothérapie en fin d’avant-midi. En effet, il y avait une section-hôpital à l’école même si les enfants quittaient l’hôpital pour aller à l’école. Il arrivait également que certains enfants fassent l’école à l’hôpital parce qu’ils ne pouvaient pas sortir. Timothy se rendit donc à son premier cours avant d’aller en physiothérapie. C’était l’un de ses cours préférés, c’est-à-dire l’art plastique. Lorsque Timothy fut arrivé en classe, Françoise, la professeure, l’aida à mettre un sarrau pour protéger son linge, elle l’amena à la table, barra les roues de son fauteuil roulant, mit du papier devant lui et de la peinture de différentes couleurs. Timothy avait un pinceau, mais il pouvait utiliser aussi ses mains pour expérimenter la matière. De toute manière, il y avait un lavabo dans la classe pour nettoyer les pinceaux et, bien sûr, les mains. Timothy fit des taches bleues, vertes, mauves, plus ou moins agencées sur le papier. Il s’amusait et s’évadait dans la peinture jusqu’à la fin du cours.
Timothy alla à sa séance de physiothérapie avec les mains encore un peu colorées même si Françoise lui avait lavé les mains. Monique, la physiothérapeute responsable de Timothy, retira l’enfant de fauteuil roulant manuel pour l’installer sur une table d’exercice. Monique commença par faire des mobilisations avec les quatre membres de Timothy parce qu’ils avaient beaucoup trop de raideurs causées par les spasmes pour commencer les exercices tout de suite. Lorsque les membres de Timothy furent suffisamment détendus, Monique aida l’enfant à se mettre à quatre pattes sur la table d’exercice. Timothy était un peu chambranlant, mais il parvint à tenir dans cette position. Monique le soutenait quelque peu à la taille et aux hanches, mais Timothy fit le plus gros du travail. Ensuite, Timothy dut se tenir assis le plus droit qu’il pouvait au bord de la table, en tenant le moins possible. Tous ces exercices devaient Timothy à mieux contrôler ses mouvements et à devenir plus autonome éventuellement.
Après l’heure du dîner, Timothy dut aller au cours qu’il détestait le plus au monde, c’est-à-dire la natation. Il avait même demandé à l’école d’en être exempté, mais Pierre, le professeur de natation s’y était opposé en prétextant qu’il était nécessaire que Timothy fasse de la natation pour l’aider dans sa condition. Il est vrai aussi que Pierre trouvait que Timothy était une mauviette. Une fois que le préposé eut terminé de mettre Timothy en maillot de bain, Pierre prit l’enfant dans ses bras, se rendit à la piscine et sauta dans l’eau. Timothy toussa beaucoup en remontant à la surface en étant toujours dans les bras de Pierre. Timothy avait avalé de l’eau lorsque le professeur avait sauté avec lui dans l’eau. L’assistant de Pierre l’en informa.
-Il fait semblant parce qu’il ne veut pas se baigner, dit Pierre.
-Non ! répliqua le petit Timothy.
-Si ! rétorqua le professeur.
Pierre garda Timothy avec lui et il lui fit faire des longueurs de piscine sur le dos en le tenant à la nuque et à la taille. Par la suite, Pierre installa Timothy dans une sorte de flotteur, afin d’aller relever son assistant qui travaillait avec d’autres élèves qui avaient plus de capacités. Pierre envoya son assistant surveiller Timothy. L’enfant flottait tranquillement au bord de la piscine. Pierre ordonna qu’il aille plus loin dans la piscine et qu’il nage avec ses jambes. L’assistant l’amena plus loin, mais il nagea avec lui pour le promener dans son flotteur.
Fatigué, Timothy reprit l’autobus adapté pour retourner à l’hôpital. Josée l’accueillit à l’entrée et le rentra dans l’hôpital.
-Nous avons eu un appel de ta maman aujourd’hui, dit l’infirmière à Timothy tout en poussant son fauteuil roulant manuel. Elle prend l’ascenseur avec l’enfant pour monter à l’étage.
-Elle est désolée, mais elle ne pourra pas t’amener chez elle, poursuivit Josée. Elle doit amener ta sœur à l’extérieur de la ville pour un entraînement de dernière minute en vue de sa compétition de natation. Ta maman te promet qu’elle va se reprendre.
Josée amena Timothy à la salle à manger. Une autre infirmière faisait manger une crème commerciale à Pascal. Josée plaça Timothy devant la télévision à laquelle passait de nouveau le dessin animé avec le robot géant.