Pris par surprise

Couverture du livre audio Je suis, vous êtes nous sommes. Sont listés les auteurs et les lecteurs.

Pris par surprise, par Jimmy Liberge

Note: certaines formulations peuvent être propres à la langue orale. 

J’ai été pris par surprise cette fois. J’ai gagné à la loterie de l’épilepsie. Oh rien de très gros qui me permette de survivre jusqu’à la fin de mes jours! Seulement le simple oubli d’une dose. Celui où il ne fallait pas que ça se produise, comme lors d’un entretien d’embauche ou à la veille d’un examen important durant les études. Et dans mon cas, ça fait beaucoup de bruit aux alentours. Les convulsions se sont emparées de mon être sans que je m’en rende compte. Jadis, quand je les sentais venir, je ne pouvais pas non plus les éviter, mais j’en ressentais tous les effets. La médication n’était pas revue systématiquement au moyen d’une simple prise de sang. D’ailleurs, je me demande à quand remonte la dernière fois où je me suis présenté à la clinique. Enfin, bref.

Je suis présentement aux prises avec les effets de cette décharge électrique. Et chimique, il va sans dire : toute ma coordination en est affectée. Ma mémoire ressemble à un verre qui s’est fracassé sur le sol. Je l’ai pourtant bien recollée la dernière fois sans en perdre un éclat parmi ceux qu’il me reste, sans être un peu plus éparpillé dans mes idées. Que dois-je laisser comme notes dans mon carnet ou dans mon agenda pour mon prochain rendez-vous que je n’ai pas encore pris? Ça y est, l’inquiétude repart. Un peu comme ces réminiscences qui sonnent en boucle avant une crise, ces mots s’enfuient avec leur rire malicieux et un acouphène inénarrable bien avant que l’on y trouve un sens. Ma tête tourne et tente de se sortir de cet écueil malencontreux. Il faut reprendre le contrôle sans plus attendre. Je titube, mon cœur ne pompe jamais assez d’oxygène quand cette situation se présente. Chaque minute devient un néant absolu qu’aucune horloge n’arrive à compter précisément. Tout est suspendu, le souffle se retient comme s’il s’agissait d’un film d’horreur…bien réel. Tout l’être demeure prisonnier de cette camisole de force et s’en défait après un certain intervalle plus ou moins long, malgré toutes les protestations kinésiques. À la fin de l’assaut, tout l’être se relâche. La pensée divague à nouveau. Une égratignure par ci, un bleu par-là, le coma épileptique laisse quelque chose de moi dans ce combat inique. La méta-conscience n’arrive plus à se situer maintenant que je suis rentré dans mon moule, mon enveloppe terrestre. Je suis chancelant et je peine à marcher. Mon âme est sortie de mon corps sans perdre conscience totalement cette fois-ci. Cette sensation est toujours aussi étrange à décrire avec les années. Les gens autour de moi ont vraiment peur! Pour eux, c’est une apocalypse dont le spectacle est quelque peu horrifiant. Mon important malaise les a fait sursauter pendant que nous discutions autour de la table. C’est l’enfer sur terre pour certains, qui réclament un exorcisme, tandis que les autres voient à ce que les dommages ne s’étendent pas. Le Grand Mal doit être éradiqué. La panique est perceptible partout dans l’endroit où nous nous trouvons. Et oui, hélas, je suis épileptique.

Encore une fois, j’ai tenté de cacher ce fait comme un magicien qui mystifie tout le monde en cachant une carte dans la manche de sa chemise pendant qu’il exécute son tour. Temporairement du moins. J’ai le mot épilepsie signé une fois de plus dans un lobe cérébral, inscrit avec une encre que le temps ne réussit jamais à effacer de mon être concrètement. Après tout, n’est-ce pas ce que l’on peut appeler un handicap invisible? Il ne cesse jamais de jouer à cache-cache. Combien de personnes dépourvues de la moindre connaissance de cette situation pourrais-je encore apeurer avec ces soudaines absences, ces batailles et ces coupures temporelles quand tout bascule d’un instant à l’autre? Qui pourrait voir son quotidien tranquille, son confort douillet bouleversé, marqué à jamais par le déclenchement subit d’une seule crise tonico-clonique habituelle provoquée dans la tête d’une personne dans son entourage? En ce qui me concerne, je ne compte plus les fois où j’ai remporté cette loterie. Je préfère venir voir le jour où je n’aurai plus de malaises aussi grandioses, où je n’aurai plus besoin des dérivations ventriculopéritonéales qui pallient aux séquelles de mon hydrocéphalie périnatale. Enfin, si ce jour existe. Ces éléments initiaux dans mon état de santé m’ont déjà enlevé bien des espoirs malgré mes quelques réalisations. Ils se veulent tout aussi discrets pour ceux qui ne me connaissent pas. Je rêve du jour où nous parlerons de ces cas uniques dans les médias. Pas seulement lors d’une seule journée, d’un mois choisi ou d’un événement qui ravivera la mémoire collective. Qui aurait l’audace de nous présenter un personnage atteint d’épilepsie, ou d’hydrocéphalie, et de marquer profondément l’imaginaire de son public sans penser aux cotes d’écoute? Si vous avez quelques noms connus en tête et quelques tribunes à m’offrir, je suis prêt à poursuivre cet exposé en détails pour le bonheur de tous.