Budget du gouvernement Couillard 2018-2019 : Les personnes en situation de handicap font encore les frais d’une mathématique purement électoraliste
Communiqué
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L’organisme Ex aequo tient à exprimer sa profonde déception face au budget 2018-2019. Les augmentations annoncées sont loin de refléter les besoins et sont nettement insuffisantes pour assurer la qualité et la pérennité des services publics aux personnes en situation de handicap. Nous rappelons au gouvernement que c’est 616 740 personnes vivant avec des incapacités, qu’il a laissé pour compte encore cette année.
Oser le cynisme au point de faire mentir les chiffres
Le soutien à domicile, pierre angulaire de toute politique favorisant l’autonomie et la participation scolaire, professionnelle et sociale des personnes en situation de handicap, a été lourdement affecté par les réformes et les compressions du présent gouvernement, alors même que les besoins augmentaient rapidement. Le gouvernement Couillard, fidèle à son habitude, maintient la confusion entre les soins à domicile (actes médicaux et thérapeutiques à domicile) et le soutien à domicile (aide à la vie quotidienne et aide à la vie domestique). Dans ces conditions, il est impossible de mesurer l’impact du réinvestissement de 229 millions inscrit au budget. On note au passage l’absence du terme «situation de handicap ». Encore une fois, le gouvernement choisi d’ignorer la nuance importante entre « personnes en perte d’autonomie » et « personnes en quête d’autonomie » et de reconnaitre l’organisation différente des services que ces situations commandent. À quand une enveloppe dédiée aux personnes en situation de handicap pour le service à domicile?
En additionnant les 229 millions du budget 2018-2019 aux 520 millions de dollars que le ministre de la santé affirmait récemment avoir investi en soutien à domicile, nous atteignons la promesse électorale libérale de 2014 des 750 millions de dollars sur 5 ans. Or la somme de 520 millions de dollars n’a jamais été ventilée publiquement et ne correspond en rien aux annonces budgétaires faites depuis l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement. Nous craignons, encore une fois, avoir à faire à un amalgame de programmes dont le seul trait commun soit d’être dispensé à domicile. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en santé, comme dans bien des secteurs, la transparence du gouvernement laisse sérieusement à désirer. De plus, le 229 millions promis pour 2018-2019 est certainement conditionnel aux résultats de l’élection du 1er octobre. On constate donc, qu’une des populations les plus vulnérables du Québec risque de faire les frais d’une mathématique purement électoraliste.
Le virage en soins à domicile pourtant nécessaire
En matière de soutien à domicile, le Québec est en retard. Comme le démontrait l’étude de l’IRIS parue en septembre dernier, le Québec se doit d’effectuer un tournant vers les soins et le soutien à domicile et du même coup, réduire son recours aux services et aux soins en établissement. Pour effectuer ce changement essentiel, le chercheur Guillaume Hébert chiffrait à 4 milliards de dollars le transfert budgétaire nécessaire vers le soutien à domicile. Loin d’aller en ce sens, le budget 2018-2019 est alimenté par une conception des services de santé passéiste et déconnectée des besoins actuels et futurs de la population. Faut-il rappeler que le soutien à domicile n’a rien d’un « bonbon » ou d’un « cadeau ». On parle ici d’un service essentiel, dont la stabilité et la souplesse de l’offre sont fondamentales pour les personnes en situation de handicap qui, comme tout le monde, doivent se conformer aux exigences du marché du travail et des établissements d’enseignement.
L’inclusion : aussi une question d’habitation
Dans le secteur de l’habitation, on essaie vraisemblablement de nous faire passer un simple rattrapage pour de la nouveauté. Plusieurs milliers de logements sociaux annoncés au cours des années précédentes n’ont finalement jamais vu le jour faute d’une enveloppe financière réaliste du programme Accès-logis. Nous saluons la volonté de ce gouvernement d’investir finalement pour remédier à la situation, mais ce rattrapage ne doit pas se substituer au financement de nouveaux projets. En effet, on annonce cette année encore la construction d’un maigre 3000 nouveaux logements pour l’ensemble du Québec et une soixantaine de millions de dollars pour achever une partie des projets non-aboutis. Pourtant, en novembre dernier le gouvernement fédéral annonçait à travers sa Stratégie nationale du logement un fond substantiel pour soutenir les efforts provinciaux en matière de logement social. On s’attendait donc à des annonces plus généreuses qui allaient au-delà des sommes déjà consenties par Ottawa. Rappelons que 55% des personnes en situation de handicap doivent réussir à se loger avec un revenu annuel inférieur à 15 000$ et dans ce contexte, le logement social est primordial.
Plus troublant encore, alors qu’une grande partie des services du gouvernement semblent profiter de hausses d’investissement, le programme d’adaptation de domicile subi plutôt un ralentissement de son financement. Alors que plusieurs milliers de logements sociaux verront peut-être le jour, on risque de réduire l’accès des personnes en situation de handicap à ces mêmes logements. Par ailleurs, les 70 000 québécoises et québécois qui ont des besoins non comblés en aménagement de domicile ne verront pas la situation s’améliorer de sitôt. En tenant compte du coût moyen d’un dossier, la réduction de financement de 3 millions de dollars que subira ce programme empêchera la réalisation de plus de 200 adaptations en 2018-2019, alors que les demandes connaissent une hausse de 21% depuis 2009. Qui plus est, nous exigeons depuis plusieurs années une planification pluriannuelle de l’enveloppe budgétaire du programme afin de pallier aux délais administratifs qui sont présentement de 22 mois. Le budget présenté mardi n’offre aucune solution en ce sens.
Plus vite avec moins !
Globalement, le budget de la santé a subi des coupures énormes au cours des dernières années. Selon l’étude récente de la FSSS-CSN, le réseau public de santé souffre d’un manque à gagner évalué entre 5 à 7 milliards de dollars pour les quatre dernières années seulement. Les hausses annoncées dans le dernier budget sont donc très loin d’éponger les nombreuses coupures et compressions. Pendant ce temps, nous constatons la diminution constante de la qualité et de la disponibilité des services pour les personnes en situation de handicap et le recours de plus en plus fréquent au secteur privé et communautaire. Dans ces conditions, plusieurs personnes n’ont plus accès à certains services. C’est particulièrement préoccupant, puisque de l’aveu même du ministre des finances, malgré les hausses cette année, le gouvernement actuel prévoit retourner à sa politique d’austérité dès l’année prochaine.
Nous reconnaissons l’importance d’une organisation efficace du réseau de la santé. Toutefois, le recours ces dernières années à des entreprises privées afin d’introduire des mesures de « new management » dans le réseau de la santé québécois a résulté en un pouvoir accrue des gestionnaires éloignés des réalités-terrain, à l’épuisement des travailleurs et à des décisions aux allures souvent arbitraires ou contraires à la mission des établissements de santé. On pense en particulier à cette terrible « méthode LEAN ». Dans ce contexte, l’ambition annoncée par ce gouvernement d’introduire le financement des soins par patient, c’est-à-dire de catégoriser les usagers selon le montant d’argents nécessaire pour leur « trajectoire de soins », soulève plusieurs inquiétudes et nous appelle à la vigilance. Depuis une décennie, l’expérience vécue par nos membres, comme usagères et usagers du réseau de la santé, tend à démontrer que l’implantation obsessive de solutions managériales principalement orientées sur le quantitatif, affaibli le système public et réduit l’accessibilité et la qualité des soins et des services. Ces méthodes de gestion font aussi obstacle à bon nombres d’actes professionnels pourtant essentiels à une approche préventive et sociale des troubles de santé.
Le secteur communautaire : ce garde-fou qui menace de céder
Avec l’application de la politique d’austérité, les coupures et les compressions dans le secteur public touchent particulièrement les strates de la population qui fréquentent ou qui sont amenées à fréquenter les organismes communautaires. Cela augmente la pression sur les groupes et sur leur personnel qui n’ont pas les ressources pour répondre adéquatement à l’urgence et à l’ampleur d’une telle demande. Avec leur financement non-indexé depuis 15 ans, les organismes du secteur de la défense collective des droits en particulier s’appauvrissent sans cesse face à la hausse du coût de la vie, que ce soit la hausse du loyer ou la stagnation des conditions de travail et des avantages sociaux des personnes salariées. Par conséquent, il devient de plus en plus difficile d’assumer leur rôle de chiens de garde de la démocratie, pourtant reconnu par la Politique gouvernementale sur l’Action communautaire.
Simon Philippe Caron
Geneviève Guernier
Emely Lefrançois
Benoit Racette